RECENSION - Carol SABA - La Russie éternelle, ses saints et ses démons à propos du livre de Pierre Gonneau « Histoire de la Russie, d'Ivan le Terrible à Nicolas II, 1547-1917 » '(Ed. Taillandier).
publié dans Actualités
le 10 Novembre 2016, 10:40
La Russie fait couler beaucoup d'encre ces temps-ci. En France, en particulier, en raison de ce nouveau centre spirituel et culturel russe qui vient d’être inauguré le 19 octobre dernier, à l’emplacement même de l’ancien siège de Météo France. Le complexe qui appartient à l’Etat russe devait être inauguré par les deux chefs d’Etat, français et russe. Mais les tensions et frottements diplomatiques entre les deux pays ont réduit la voilure de la représentation officielle de cet évènement. La France, novation dans le protocole diplomatique, s’est interrogée publiquement par la voix de son président, sur l’opportunité de la venue dans ce contexte du président russe qui a alors décidé de bouder. La nouvelle cathédrale russe dédiée à la Sainte Trinité, qui fait partie des bâtiments de ce complexe avoisinant la Tour Eiffel, devrait être dédicacée par le Patriarche Cyrille de Moscou en décembre prochain. Elle trône désormais avec ses cinq bulbes dorés sur les quai Branly, pas loin de l’endroit où le président Chirac a installé lemusée des arts et civilisations d'Afrique, d'Asie, d'Océanie et des Amériques qui porte désormais le nom de l’ancien chef de l’Etat. L’ensemble constitue ainsi une nouvelle attraction touristique, russe cette fois-ci, sur la carte des monuments de Paris. Les relations franco-russes ont toujours été depuis bien avant les campagnes militaires napoléoniennes, de l’ordre du « je t’aime moi non plus », et connaissent depuis des cycles de rejet et d’attraction. La Russie en effet fascine. La Russie d’hier et d’aujourd’hui intrigue. La Russie suscite beaucoup d'ambivalences. Certains la sanctifient. D'autres la diabolisent. Le Général de Gaulle qui n’appelait les soviétiques que les « russes », refusait de voir dans la Russie soviétique autre chose « qu’un avatar temporaire de la Russie éternelle et dans son gouvernement, une forme modernisée d’une fatale autocratie ». C’est à l’étude de la profondeur historique, politique, culturelle, artistique et spirituelle de cette Russie éternelle, de cette Russie tsariste et de ses 4 siècles d'autocratie impériale, que le dernier ouvrage que vient de publier Pierre GONNEAU aux Editions TALLANDIER, s’attelle.
La Russie fait couler beaucoup d'encre ces temps-ci. En France, en particulier, en raison de ce nouveau centre spirituel et culturel russe qui vient d’être inauguré le 19 octobre dernier, à l’emplacement même de l’ancien siège de Météo France. Le complexe qui appartient à l’Etat russe devait être inauguré par les deux chefs d’Etat, français et russe. Mais les tensions et frottements diplomatiques entre les deux pays ont réduit la voilure de la représentation officielle de cet évènement. La France, novation dans le protocole diplomatique, s’est interrogée publiquement par la voix de son président, sur l’opportunité de la venue dans ce contexte du président russe qui a alors décidé de bouder. La nouvelle cathédrale russe dédiée à la Sainte Trinité, qui fait partie des bâtiments de ce complexe avoisinant la Tour Eiffel, devrait être dédicacée par le Patriarche Cyrille de Moscou en décembre prochain. Elle trône désormais avec ses cinq bulbes dorés sur les quai Branly, pas loin de l’endroit où le président Chirac a installé lemusée des arts et civilisations d'Afrique, d'Asie, d'Océanie et des Amériques qui porte désormais le nom de l’ancien chef de l’Etat. L’ensemble constitue ainsi une nouvelle attraction touristique, russe cette fois-ci, sur la carte des monuments de Paris. Les relations franco-russes ont toujours été depuis bien avant les campagnes militaires napoléoniennes, de l’ordre du « je t’aime moi non plus », et connaissent depuis des cycles de rejet et d’attraction. La Russie en effet fascine. La Russie d’hier et d’aujourd’hui intrigue. La Russie suscite beaucoup d'ambivalences. Certains la sanctifient. D'autres la diabolisent. Le Général de Gaulle qui n’appelait les soviétiques que les « russes », refusait de voir dans la Russie soviétique autre chose « qu’un avatar temporaire de la Russie éternelle et dans son gouvernement, une forme modernisée d’une fatale autocratie ». C’est à l’étude de la profondeur historique, politique, culturelle, artistique et spirituelle de cette Russie éternelle, de cette Russie tsariste et de ses 4 siècles d'autocratie impériale, que le dernier ouvrage que vient de publier Pierre GONNEAU aux Editions TALLANDIER, s’attelle. Le titre choisi par ce grand spécialiste de la Russie, professeur à l’université Paris-Sorbonne, et directeur d’études à la section des sciences historiques et philologiques de l’Ecole pratique des hautes études, annonce déjà l’ampleur de son programme : « Histoire de la Russie, d'Ivan le Terrible à Nicolas II, 1547-1917 ». Il s’agit là d’une mine d’informations. Une fresque historique qui met en scène brillement les trois temps, long, moyen et court, de l’histoire russe. Une écriture qui allie le style romanesque aux exigences de l’historicité. Un style qui sait « emboiter », comme des poupées russes, les visages et les périodes, la grande et la petite histoire de la Russie éternelle. Tous les tsars y passent, les grands et les moins grands, les glorieux, les mystérieux, les effacés, les modestes, les illuminés et les raisonnables. Une fresque riche aussi en portraits de figures emblématiques de la Russie Tsariste. Ivan le Terrible, certes, en premier. Cette ambivalente personnalité sans cesse tourmentée, qui fonde et associe dans une folie démesurée, la Terreur politique et une forme de radicalité mystique que seuls les Russes connaissent le secret et la recette. Puis, en passant par la figure centrale de Pierre le Grand, le bâtisseur, qui regarde sans cesse vers l’Europe mais qui aussi incarne l’ambivalence russe sans cesse oscillant entre Orient et Occident. Comment ne pas évoquer non plus Catherine II, cette Tsarine d’origine allemande, une poigne de fer dans un gant de velours, qui a su ne pas être pour les Russes cette « étrangère », mais celle qui a su épouser pleinement l’orthodoxie et se faire reconnaitre par les russes comme une des leurs. Puis, vient la figure du Tsar Alexandre II, l’homme policé, qui a osé l’affranchissement des cerfs, un des derniers grands tsars avant les secousses de l’empire avant de finir avec le dernier des tsars, Nicolas II, le dernier des Romanov à avoir trôné et qui a concentré dans l’inconscient russe, toute la tragédie russe, la double image du Tsar Trônant et du Tsar christique, qui vit le martyr, lui et sa famille dans des conditions dramatiques extrêmes. Le livre de GONNEAU est une fresque qui suscite aussi une vraie réflexion sur les synthèses russes, opérées siècle après siècle, entre différentes confluences et inspirations, celles venant de l’Ouest, l’Européenne, germanique et latine, catholiques et protestantes, celles venant du Sud, la Byzantine et orthodoxe, et celles venant de l’Est, l’Asiatique, mongole et tatare. Toute la Russie, d’hier et d’aujourd’hui, est dans ce creuset de ces différentes confluences. Le millefeuille russe se lit dans ces différentes strates historiques et socio-politiques. L’ouvrage fournit aussi, et surtout, des grilles de lecture pour comprendre la Russie d’aujourd’hui, foncièrement tsariste aussi, à sa manière. Il nous renseigne sur les traits caractéristiques majeurs de cette Russie tsariste et sur le profil type marquant sa gouvernance politique. On y décèle les facteurs de continuité et les facteurs de rupture d’une telle gouvernance, autocratique et impériale, centrale et décentralisée, de ses stratégies d’influence et de sa géopolitique mentale. Il renseigne aussi sur les tensions universelles, spirituelles et culturelles, qui animent ses monarques et la projection, géopolitique et géostratégique, de leur influence dans le monde. Le livre de GONNEAU n’est pas qu’un livre d’histoire mais aussi des clés de décryptage utiles pour les grilles de lecture de l’actualité de la Russie d’aujourd’hui. Le livre débute en effet par une question, comment devient-on tsar, en prolongeant la question par le récit historique du couronnement le 16 janvier 1547 du célèbre Ivan le Terrible avant d’affirmer que le changement est continuité en Russie et la continuité un changement. Les époques changent et les personnages. Le sous-jacent reste. « La Russie des tsars ou tsariste se perpétue jusqu'à l'abdication de Nicolas II, le 2 mars 1917. Ensuite tout change ... ou rien ne change. Staline a souvent été qualifié de tsar rouge et le Kremlin de Moscou est toujours le lieu du pouvoir par excellence. ». Pour celles et ceux qui veulent opérer une lecture objective et dépassionnée de la Russie d’aujourd’hui, cette fresque historique que nous propose Pierre GONNEAU serait d’une grande aide pour réfléchir, analyser, décrypter et s’interroger. Demeurent des interrogations qui parlent à l’aujourd’hui de la Russie. Comment la Russie éternelle évoquée par de Gaulle, se prolonge-t-elle dans la Russie soviétique, puis post-soviétique et puis la Russie de Poutine ? Y-a-t-il un déterminisme historique de voir sans cesse répéter ces cycles d’attraction et de rejet entre la Russie et l’Europe dont elle se revendique pourtant ? Comment désamorcer les facteurs d’incompréhension et de mésintelligence qui se développent ? Existe-t-il une incompatibilité de principe entre la Russie et l’Europe ? La diabolisation de la Russie par certains est aussi dangereux pour la sécurité du monde que sa sanctification par d’autres. En tout cas, le livre de GONNEAU qui contient des outils précieux de travail pour aller plus loin, des cartes, une bibliographie impressionnante, une fresque chronologique, tsar par tsar, des index des personnes et des lieux, ainsi qu’une généalogie des Romanov, est éclairant pour tenter de mieux comprendre la Russie, ses saints et ses démons, ses ambivalences meurtrières et ses inspirations créatrices. Il invite à voir la Russie autrement que dans le blanc et noir des analyses approximatives du moment car au-delà des personnes et des conjonctures, ce qui reste, et perdure, c’est bien la Russie éternelle. Carol SABA